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Bulles de filtres et questions existentielles

Faut-il dormir avec la barbe au-dessous ou au-dessus des couvertures ? Le contre de Cheslin Kolbe lors de la tentative de transformation de Thomas Ramos était-il conforme au règlement ? Adam avait-il un nombril et l’obélisque a-t-il été déclaré au fisc ? Le chat de Schrödinger est-il mort ou vif ? Tant de questions qui nous taraudent et qui souvent agitent Twitter/X. Il est pourtant un débat essentiel qui n’agite pas assez les consciences par inconséquence ou inconscience : faut-il ou non quitter Twitter/X ?

 

En plein fluctuat post épopée tahitienne et pour éviter le mergitur, Anne Hidalgo annonce haut et fort qu’elle quitte ce réseau devenu un cloaque où pullulent les trolls, les adeptes de théories fumeuses, les antitout, sur fond d’invectives, d’insultes, de harcèlement, bref, les 9 cercles de l’Enfer réunis en un seul espace. À J+8 de cette martiale annonce, le compte d’icelle demeure ouvert. Le panache eut peut-être été de scénariser la sortie, à la façon d’un Maurice Clavel quittant un plateau de télévision (« Messieurs les censeurs, bonsoir ! ») … Mais l’on parle d’un temps que les moins de vingt ans… Autre option, mettre en place un compte à rebours, avec une échéance. Pour nourrir la conversation une ultime fois, quitte à attiser le courroux, l’ironie, la moquerie ou les quolibets des uns et susciter les pleurs et grincements de dents des supporters et amis. C’était la dernière séance, et le rideau sur l’écran n’est pas encore tombé.

 

À bien y réfléchir, y a-t-il un impératif catégorique à quitter Twitter/X lorsqu’on est une personnalité publique ? Certes, le Twitter/X de 2023 est à des années-lumière du Twitter narquois et farfelu des années 2009. À cet instant, un zeste de nostalgie nous étreint, sur l’air de « c’était mieux avant ». Mieux, qui sait ? Différent, c’est certain. Plus calme. Plus apaisé. Plus expérimental. Politiques, journalistes se sont lancés sur Twitter et ont découvert un outil qui comblait leur désir de communiquer sans filtre, sans intermédiation, de livrer leur pensée brute, en 140 puis 280 caractères, la substantifique moelle. Twitter a offert un formidable écrin permettant à tout un chacun d’exister, de nourrir son ego, de permettre l’éternel retour, de rester entre deux eaux et soudain d’émerger à grand coup de punchlines humoristiques ou assassines. Twitter a réhabilité la communication épistolaire avant l’émergence des réseaux comme Instagram ou TikTok où l’image s’est substituée aux mots.

 

Les temps ont changé, le verbe s’est libéré, les digues de la bienveillance ont sauté. Twitter/X est le reflet du monde tel qu’il est. Clivé. Passionné. Finis les combats à fleuret mouchetés, place à la violence brute. Le monde réel se fracture. Les communautés qui cohabitaient sur Twitter sans se rencontrer, se confrontent sur X. Sans nuance. Dans des logiques binaires où si tu n’es pas avec moi tu es contre moi et je dois t’annihiler. Quitte à chasser en meute. Quitte à ce que le réel rattrape le virtuel.

 

Faut-il pour autant déserter ? La nature a horreur du vide, c’est connu. Que restera-t-il une fois que les bienveillants cortiqués auront quitté Twitter/X, lassés, fatigués, épuisés. Il est clair que pour continuer d’exister sur Twitter/X en tant que personnalité publique, la magie du verbe ne suffit plus, elle doit être accompagnée d’une résilience immense, d’une volonté de ne plus tendre la joue droite et de distribuer les bourre-pif, pour tenter de faire exister un vestige de vie intelligente… Et de tenter de créer une bulle de filtre, une abbaye de Thélème numérique où comme disait Rabelais, « Fais ce que voudras », parce que les gens libres, bien nés, bien instruits, conversant en compagnie honnête, ont par nature un instinct et un aiguillon, qui toujours les pousse à accomplir des faits vertueux et les éloigne du vice, aiguillon qu’ils nommaient honneur. »

 

08/12/2023