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Cachez ce nu !

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées. » (Molière, Le Tartuffe, III, 2).

Non, cela ne se passe pas en Afghanistan, mais dans un collège d’Issou dans les Yvelines. Parce qu’elle leur avait montré un tableau du XVIIe siècle représentant des nymphes dénudées, une professeur de sixième a été placée sous protection fonctionnelle, après avoir été accusée de provocation et de racisme par des élèves de confession musulmane. Un mot sur le tableau, œuvre du célèbre peintre maniériste italien, Giuseppe Cesari. La peinture représente la légende d’Actéon, chasseur orgueilleux et petit-fils d’Apollon qui aperçut par hasard Diane en train de se baigner avec ses nymphes dans un torrent. Loin de s’éloigner, il les regarda. De crainte qu’il ne se vantât par la suite auprès de ses compagnons que la déesse s’était montrée nue en sa présence, celle-ci le changea en cerf et le fit mettre en pièces par sa meute de cinquante chiens.

 

On voit combien ce tableau montrant des nus, est d’abord et avant tout, un projet puritain. Parce qu’il n’a pas respecté la nudité, le chasseur se trouve relégué au rang d’animal. Rappelons, d’ailleurs, au passage que Cesari fut fait chevalier du Christ par le pape Clément VIII et reçut le soutien constant du pape Sixte V. Pour le savoir, encore eut-il fallu que l’enseignante puisse parler de mythologie et expliquer la démarche artistique.

 

Plusieurs leçons à tirer de cet incident. Tout d’abord, comme l’ont démontré les nombreux commentaires sur les réseaux sociaux prenant à partie l’enseignante, il est devenu impossible de faire la différence entre montrer un nu et promouvoir un acte sexuel, entre la pudeur et la pudibonderie. Il y a quelques années, plusieurs statues du Capitole furent recouvertes pour la venue à Rome du président iranien, Hassan Rohani afin de respecter sa sensibilité.

 

Qui se souvient encore des « Femen », qui revendiquaient un « féminisme radical », dont les adeptes exposaient leurs seins dénudés sur lesquels étaient apposés des messages politiques ? Cette forme d’action militante était un refus de la sexualisation du corps de la femme, et une réappropriation de celui-ci au moyen de l’exposition de sa nudité. Depuis, un tout autre féminisme radical recommande, cette fois, de cacher ce sein afin de ne pas heurter celles qui ont le choix de couvrir leurs corps et, parfois, leurs visages.

 

Autre leçon : il n’échappera à personne que ceux qui réclament un iconoclasme du nu féminin sont parfois les mêmes qui partagent et affichent des scènes de guerre et d’agression. Montrer, filmer, commenter des images d’une jeune femme en sang embarquée dans le coffre arrière d’une voiture ne pose ici aucun problème de pudeur alors que ces scènes sont d’une rare obscénité. Essayez de publier un tableau de nu sur Facebook. Il y a de fortes chances pour que les foudres de la censure s’abattent sur vous.

 

Dernière leçon mais pas la moindre. L’école est devenue la première ligne de front. Ce qu’a parfaitement rappelé le ministre, Gabriel Attal : « À l’école française, on ne détourne pas le regard devant un tableau, on ne se bouche pas les oreilles en cours de musique, on ne porte pas de tenue religieuse. Bref, à l’école française, on ne négocie pas ni l’autorité de l’enseignant, ni l’autorité de nos règles et de nos valeurs ». On pourrait ajouter : et on lit Molière n’en déplaise aux tartuffes de toutes les obédiences.

 

15/12/2023