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Le tsar acte

Deux heures d’interview de Vladimir Poutine ont été réalisées, lundi 6 février, au Kremlin. Cet entretien avec un journaliste occidental était le premier depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. C’est dire si la mise en scène était particulièrement soignée à la veille de l’élection présidentielle de mars prochain dont le résultat sera pourtant sans surprise. L’occupant du Kremlin, au pouvoir depuis plus de vingt ans, est apparu détendu, à l’aise, mais aussi sûr de son bon droit et de l’issue du conflit. La défaite de la Russie est « impossible par définition » a-t-il répété et le conflit se réglera par un accord concédé. Auparavant, le journaliste avait eu droit à vingt-cinq minutes sur l’histoire russe, le temps de rappeler les liens qui unissent la Russie et l’Ukraine et, surtout, combien cette nation était un « État artificiel », avec des territoires pris sur la Pologne, la Roumanie et la Hongrie.

 

Parallèlement à cette déclaration fleuve de Vladimir Poutine, aussi tourbeux que la Volga, on apprenait qu’après deux ans de guerre et l’échec de la contre-offensive lancée en juin 2023, Volodymyr Zelenski se séparait de son chef des armées, un militaire pourtant populaire, peut-être trop populaire pour le président de l’Ukraine. Ce dernier devançait nettement le président ukrainien dans tous les sondages d’opinion et le fossé s’accentuait encore dans les rangs de l’armée.

 

Entendons-nous : changer de chef militaire en pleine guerre est tout sauf rare mais en décidant de congédier celui que le chef d’État, hier encore, présentait comme le « général le plus expérimenté d’Ukraine » à un moment où le conflit se trouve dans une impasse et où une partie de la société ukrainienne cède à la morosité peut être lourd de conséquences.

 

Mais il n’y a pas que ces éléments qui instillent le poison du doute. La perspective d’un éventuel changement de président aux États-Unis, en cas de victoire de Donald Trump lors de l’élection de novembre prochain, est perçue comme une menace majeure en Ukraine. Et d’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le Kremlin a choisi Tucker Carlson pour interroger Vladimir Poutine. Ce dernier est un journaliste conservateur américain et une figure de la droite américaine. Il a produit en novembre 2021 une émission présentant l’invasion du Capitole par des partisans de Donald Trump en janvier 2021 comme un complot de « l’État profond » dont seraient victimes les « patriotes » qui ont participé à l’assaut. En l’accueillant, Poutine s’est mis à l’heure de Trump mais il a aussi montré qu’il demeurait un redoutable joueur d’échecs. Le problème lorsque l’on joue aux échecs est que l’adversaire regarde dans votre jeu. Mais comme le disait le champion Viktor Kortchnoï : « Il vaut toujours mieux jouer un plan faux de façon logique que de n’avoir pas de plan du tout ».

 

08/02/2024