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Cinq ans et des poussières

Il y a 5 ans, un pauvre mammifère pholidote se voyait accusé de tous les maux, notamment d’avoir mis le monde à l’arrêt. Cher pangolin, nous voici donc dans l’obligation de vous présenter nos plus plates excuses, car manifestement vous fûtes la victime d’une des plus criantes affaires de déni de justice qui fût. Une condamnation sans appel. Vous, vos petits yeux étonnés, votre regard naïf, votre carapace écaillée et votre langue longiforme.

Revenons aux faits. Il y a 5 ans nous sommes entrés en guerre. Sans masques. Sans gel. Sans rien. La paranoïa s’est doucement instillée dans nos esprits, l’autre devenant l’ennemi, vecteur d’un virus invisible. Nous nous sommes retirés, les uns dans leur 12m2 parisien, d’autres dans leur propriété au fin fond d’une campagne d’abord riante, ou en bord de mer avec interdiction d’arpenter les plages. Nous avons rempli des formulaires, attestations de sortie, moultes fois recopiées, gommées. Nous avons applaudi le soir les soignants, qui dans certaines zones tentaient vaille que vaille de mettre un semblant d’ordre dans le chaos ambiant, juste équipés de sacs poubelles, vaillants acteurs d’un système de santé au bord du craquage.

Passé l’enthousiasme des premiers apéro-Zoom, nous avons été progressivement gagnés par l’ennui. Une forme de routine carcérale, quelle que soit la taille de la cour de promenade. Une fois La Recherche du Temps Perdu lue à l’endroit, à l’envers et dans le désordre, on s’est lassés du décompte quotidien des morts, de l’apparition télévisuelle des officiels porteurs de mauvaises nouvelles, avec prolongation de notre sursis pour une durée élastique. Les gourous et Diafoirus médiatiques ont émis des théories toutes plus fumeuses les unes que les autres avec l’approbation parfois d’édiles très haut placés. Pour peu, on aurait ingurgité de l’eau de javel. Des pseudo-sachants se sont exprimés sans qu’aucun jamais n’émette le moindre doute. Mieux, les experts nourris au complot ont débattu, polarisé, politisé et affirmé leurs convictions. La science a perdu. La pensée a perdu. L’être social a perdu.

Cinq années ont passé. Mais cinq années suffiront-elles pour effacer les traces de ces quelques mois de temps suspendu ? Ceux qui ont survécu à l’ingestion d’eau de javel ont réélu le Roi du Deal. Nous sommes réellement en guerre. Et l’on se répète comme chaque génération à la fin de chaque conflit ou drame majeur : plus jamais ça. Comme un buveur un lendemain de cuite. Plus jamais ça… jusqu’à la prochaine. Inconséquence du genre humain.

Et le pangolin dans tout ça ? Blanchi de tout soupçon, il coule aujourd’hui des jours heureux, peut-être sur une île du Pacifique, en compagnie de Tupac et d’Elvis. Loué soit-il !