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DMA : trois lettres qui changent beaucoup

Voilà une semaine que le Digital Market Act est entré en vigueur en Europe. Une régulation qui va changer la vie de six grands acteurs du numérique. Cinq sont américains – Apple, Alphabet, Meta, Amazon, Microsoft – l’un est chinois, ByteDance. Ces six entreprises ont été désignées il y a quelques mois comme des « contrôleurs d’accès » (« gatekeepers »), c’est-à-dire des acteurs privés qui structurent la vie de des Européens, entreprises comme consommateurs. En clair, une fois que l’on est entré dans leur écosystème, on ne peut plus vraiment vivre ou faire sans eux. À titre d’exemple, l’univers des réseaux sociaux se résume aujourd’hui pour l’essentiel à deux acteurs : Meta, qui possède Facebook et Instagram et ByteDance qui possède TikTok.

 

Mais pourquoi donc l’Europe veut-elle les réguler alors qu’il existe déjà un instrument juridique pour dompter les entreprises dominantes : le droit de la concurrence. Mais ce droit s’est révélé trop étroit : il permet simplement de condamner les abus de position dominante (et les ententes anticoncurrentielles). Il n’adresse pas des sujets essentiels comme la loyauté des plateformes dans leurs relations avec les clients et les utilisateurs finaux, l’interopérabilité entre plateformes ou l’entrée de nouvelles entreprises au sein de leur écosystème. De plus, le droit de la concurrence s’est révélé à l’usage trop lent : en dépit d’amendes qui se chiffrent souvent en milliards d’euros, il intervient toujours après coup (ex-post) et trop tard.

 

Le DMA vient changer complètement la donne : fini les longues enquêtes antitrusts pour délimiter le fameux « marché pertinent », établir la position dominante, démontrer l’abus puis le sanctionner. Voici venu le temps de la régulation ex-ante : si vous êtes un contrôleur d’accès, alors vous devez vous soumettre depuis le 8 mars à une liste d’obligations et d’interdictions. Cela a au moins le mérite de la clarté.

 

Les obligations et interdictions sont tout sauf des formalités ; elles vont fortement contraindre le modèle économique des contrôleurs d’accès. Mentionnons, par exemple, le fait que des clients pourront leur demander de rendre leurs services interopérables ou de disposer des données générées par leurs activités sur leurs plateformes. De même, les utilisateurs finaux – c’est-à-dire vous et moi – pourront transférer plus facilement des données d’une application à l’autre.

 

Si les gatekeepers ne sont pas en conformité avec leurs obligations et interdictions, alors les sanctions tomberont. Des sanctions lourdes, inspirées du droit de la concurrence : des amendes pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial, et même 20 % en cas de récidive ! Plus encore, en cas de non-respect systématique, la Commission pourra enjoindre au contrôleur d’accès… de vendre tout ou partie d’une activité ! La menace du démantèlement n’est plus très loin.

 

Le DMA va-t-il vraiment changer le paysage européen du numérique, dominé aujourd’hui par de grandes entreprises américaines ? On peut en douter. L’Europe a perdu la bataille des géants du numérique depuis bien longtemps, même si nous excellons sur des niches. À défaut d’avoir des géants, il nous reste… la régulation des géants.

 

15/03/2024