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Le faux procès des monstres

L’affaire est plus que révoltante : au moins 72 hommes ont violé Gisèle Pélicot pendant dix ans, alors qu’elle était sous sédatifs administrés par son mari. Depuis le début du procès, ce lundi, journalistes et médias tentent de poser des mots sur ces profils si divers (du chômeur au pompier, du jeune de 26 ans au grand-père vieillissant), qui ne trouvent comme dénominateur commun que l’assouvissement des pulsions sexuelles les plus sordides, la femme réduite au rang d’objet.

 

Pourtant, un mot revient de manière récurrente : les accusés sont présentés comme des « monstres ».

 

Loin l’idée de minimiser le profil terrifiant de ces hommes. Mais les révélations sur l’affaire Mazan, aussi terribles soient-elles, prouvent avec fracas ce que les féministes s’évertuent à dire depuis des années : le viol est, d’abord, un crime de proximité et il n’existe pas de « monstres » à proprement parler, mais une violence systémique des hommes sur les femmes.

 

Le problème de l’attribution d’un adjectif non humain aux bourreaux de Gisèle Pélicot ne sert qu’à créer un imaginaire collectif lointain de la réalité. Pensé comme un prédateur marginalisé et rôdant la nuit dans des ruelles sombres, le violeur n’est de fait jamais père, ni mari, ni ami, ni frère, ni voisin, ni collègue.

 

Le monstre, par ailleurs, est une figure fictive sorti droit d’un conte pour enfants. Il induit ainsi qu’il se situe hors du concret et de notre vie courante, une idée confortée par les adjectifs utilisés fréquemment pour décrire les affaires de violences sexuelles : « inimaginable », « impensable ». Pourtant, les chiffres, eux, sont bien réels : 763 millions de femmes, soit une sur trois, est concernée au cours de sa vie*.

 

Face à des statistiques qui décrédibilisent totalement l’imaginaire (une agression sexuelle sur deux est perpétrée par une personne connue de la victime**), les mécaniques de prévention et d’éducation restent encore à des années lumières de la réalité vécue par les femmes. Nous grandissons mu.e.s par l’idée que le danger se situe à l’extérieur, loin de nos cercles amoureux, amicaux et familiaux.

 

Pire encore, la dénomination du monstre protège les agresseurs. Qui peut croire à une accusation portée contre un homme qui ne correspond pas aux traits du prédateur, qui plus est quand il est un excellent mari et père, questionne Rose Lamy dans son ouvrage « En bons pères de famille » ? L’autrice l’affirme : dès qu’un homme « normal » est accablé, nous avons une tendance plus forte à la remise en question de la parole de la victime. Il est temps de mettre au feu cette croyance coupable qui condamne les femmes, et les intime davantage au silence, alors que 6% d’entre elles seulement porte plainte chaque année***.

 

Les quatre mois de procès doivent ainsi nous rappeler l’importance d’un combat qui doit être sans cesse renouvelé, celui de la cause des femmes. Le violeur n’est pas un monstre, il est le membre d’une société qui affiche, trop souvent, une complaisance bien trop grave et risquée.

 

*ONU Femmes
**Enquête 2022 du Gouvernement sur les violences faites aux femmes
***Enquête INSEE et Ministère de l’Intérieur

 

06/09/24