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Medias et réseaux sociaux : l’amour dure 20 ans

Depuis deux décennies, le lien qui unit médias et réseaux sociaux est quasi-fusionnel. Ce pacte faustien a contribué à rendre de plus en plus floue la frontière entre médias et réseaux sociaux, au point qu’on parle désormais de médias sociaux. Au fil des années, ces derniers sont devenus une drogue dure pour les internautes comme pour les rédactions.

 

Mais la belle mécanique s’est grippée. En 2016, avec le vote du Brexit et l’élection de Donald Trump, suivis deux ans plus tard par l’explosion du scandale Cambridge Analytica, nous avons brutalement pris conscience de la menace potentielle des réseaux sociaux pour la démocratie. La guerre des images sur les réseaux sociaux qui accompagne la lutte que mène Israël contre le Hamas nous le rappelle chaque jour.

 

Dans ce chaos informationnel, la pression accrue des régulateurs, aussi justifiée soit elle, a aujourd’hui un effet pervers : les plateformes se désengagent des médias et l’actualité. Facebook, comme Twitter font désormais le choix de dégrader l’expérience utilisateur en matière d’accès aux sites d’information (suppression des aperçus d’articles sur X, clôture de Facebook news), voire de les invisibiliser (dépriorisation de l’actualité dans les feeds facebook, faibles mises en avant des contenus médias dans l’algorithme TikTok, suppression pure et simple des partages de liens d’actualité sur Facebook au Canada). Ce désinvestissement des plateformes pour l’information se vérifie dans les chiffres : le trafic des sites médias en provenance des réseaux sociaux est en chute libre.

 

Pourtant, en France, l’attrait pour l’information ne faiblit pas et la confiance dans les médias dits « traditionnels » progresse, comme le souligne le 36e Baromètre Kantar/La Croix. Même les 18-24 ans se sentent de plus en plus concernés par l’actualité : près de 20% d’entre eux la jugent indispensable au quotidien (+11% en 1 an). Dans le même temps, les réseaux sociaux sont une porte d’entrée majeure vers l’information, particulièrement chez les jeunes. 62 % des moins de 25 ans les utilisent pour s’informer (Ipsos). Mais chez ces derniers, la consommation diffère de celle de leurs ainés, sur le fond comme sur la forme. Les plus jeunes consomment l’information issues de sources nouvelles, parfois appelées « info-influenceurs » qui ne sont pas tous journalistes, et ils le font massivement par des vidéos plutôt que par l’écrit. On sous-estime sans doute la consommation d’information sur TikTok, qui prend de plus en plus de place dans les usages : selon le Reuters Institure, 20% des jeunes l’utilisent pour s’informer, + 5 points en un an). De plus, la genZ goute plutôt une information teintée de divertissement, people, de sport, ou d’aspect très serviciels, une sorte de « tuto-actualité » particulièrement adaptée au format de la vidéo verticale.

 

Là est tout le paradoxe, la demande d’information existe mais le fossé se creuse entre médias et réseaux sociaux car les canaux comme les contenus évoluent à une vitesse vertigineuse. Comment réconcilier médias et plateformes ?

 

Aux plateformes la responsabilité de se conformer à la législation, et de protéger les audiences et par la même nos démocraties, en garantissant à tous l’accès à une information gratuite de qualité, tout en « mettant le paquet » sur la modération, et pas seulement avec l’IA. La mise en avant de sources référentes, comme vient de l’annoncer YouTube, est également une nécessité, car tout ne se vaut pas et on ne peut pas mettre sur le même plan des comptes opportunistes qui propagent une info low cost et sensationnaliste avec de médias établis de longue date qui respectent la déontologie journalistique.

 

La nature a horreur du vide, et en matière d’information, les premiers arrivés sont bien souvent les premiers servis. Il revient donc aux médias de réinventer la distribution d’une information fiable sur ces nouveaux canaux, en adoptant leurs codes, et leurs formats. C’est le sens des initiatives récentes du service public (C quoi l’info / Tik Tok) mais aussi des chaines infos qui incarnent leur offre par de nouveaux visage sur ces espaces (Paul Larroutourou sur les réseaux sociaux de TF1, Tanguy de Lanlay sur BFM)…

 

Comme le disait récemment Daniel Kreiss, professeur de communication politique (University of North Carolina) à Bloomberg, les médias sociaux deviennent des « médias algorithmiques ». Nous sommes passés à l’ère de la recommandation. On se rassurera en observant l’impact d’un Hugo Decrypte ou d’un Rémy Buisine (Brut). Ils parviennent à engager des audiences considérables en proposant des formats adaptés aux attentes de la nouvelle génération en restant exigeant sur le fond: du live, de l’authenticité, de la vulgarisation intelligente, la mise en avant de multiples points de vue mis en perspective. Bref, du journalisme.

 

17/11/2023