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Allô maman, bobo la libido

 

CAHIER DE TENDANCE #140 | 2 JUIN 2023

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En berne. Il ne s’agit ici ni du drapeau national, ni de la dégradation de la note française, ni du moral des habitants de ce pays mais de sexe. Magali Croset-Calisto est sexologue et s’est fait connaître et reconnaître par quelques ouvrages où elle analyse sans préjugés et bienveillance la sexualité de nos contemporains, sans doute en raison d’un parcours universitaire pluridisciplinaire (elle est aussi l’auteure d’une thèse remarquée sur le surréalisme). Elle vient juste de publier aux éditions de l’Observatoire un nouvel essai « La révolution du no sex », sous-titré « petit traité d’asexualité et d’abstinence ».

 

A vrai dire depuis quelques années, on voit fleurir à dates régulières des reportages sur ces jeunes générations qui ont décidé de remettre en cause non pas une pratique sexuelle mais la sexualité.
Depuis, les chiffres sont tombés. 43% de nos 15-24 ans n’auraient ainsi pas eu de rapport sexuel au cours des douze derniers mois. Pour rappel, en 2014, 25% des jeunes interrogées répondaient dans ce sens. Pourtant, le sujet en France demeure tabou. Malgré internet et de nombreux forums qui traitent de cette question, l’abstinence demeure une réalité sociale encore honteuse ou masquée, un signe de déséquilibre psychique ou physique dans nos sociétés hypersexualisées. C’est ainsi qu’il est fréquent que des individus faisant leur « coming out » asexuel se sont vus prescrire des doses de testostérone pour stimuler leur libido ou « diagnostiquer des traumatismes dont ils ne souffraient pas ».

 

Comment expliquer ce glissement progressif du « tout-sexe » vers le « no-sex » ? Ici, l’auteure nous fait grâce des théories qui soulignent, en substance, que lorsqu’une tendance est allée trop loin, elle repart en sens inverse. Bien sûr que la pornographie a mis à mal la sexualité, bien sûr que le désir est saturé mais la question est plus complexe. Ne pas ressentir d’attirance physique envers qui que ce soit, ou faire le choix de ne pas avoir de rapports « fait désormais partie des nouvelles manières de vivre son intimité ». Sans doute, faut-il aller plus loin : c’est même pour une fraction non négligeable des jeunes, le seul moyen de retrouver ou de se construire un intimité dans un monde que l’on ressent par nature hostile. De nombreux témoignages sont ici cités : « Cette pause m’a permis de travailler sur moi (…) Je m’étais perdu dans l’autre, il aura fallu du temps pour me récupérer ».

 

Il y a des raisons personnelles à ce phénomène de l’abstinence mais aussi systémiques : le sentiment durablement ancré de se trouver dans un monde mouvant, la pandémie, la chute des couples, le refus du patriarcat…. « Tout comme il y a mille et une bonnes raisons de faire l’amour, il y a mille et une bonnes raisons, aujourd’hui, de ne plus faire l’amour » écrit Magali Croset-Calisto.
Reste l’essentiel derrière cette tendance de fond : la préservation de la vie et de l’être humain. C’est pourquoi avant de chercher à « réenchanter le monde » pour reprendre une formule dont on use et dont on abuse, il apparaît plus urgent de ressusciter le désir du désir.