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Machines à clic et têtes à claques

CAHIER DE TENDANCE #139 | 26 MAI 2023

Exuvie. Est-ce que Vivienne Westwood, la plus punk des créatrices de modes, se retournerait dans sa tombe si une influenceuse portait une de ses robes sur les marches du Festival de Cannes ? Existe-t-il un lien entre celle qui brisait toutes les chaines des convenances et des êtres qui ne tirent leurs superbes que d’un volume de gens passant devant leur linéaire ?

Jusqu’à cette semaine, il n’y avait aucun lien. Et puis Léna Mahfouf, influenceuse française mondialement connue sous le nom de Léna Situations, foula le tapis rouge cannois en portant une inspiration, presque à l’identique, de la robe revêtue par Naomi Campbell lors d’un défilé trente ans plutôt. La version 2023 est composée d’un body-bustier et d’une longue traîne révélant les épaules et les jambes de la star aux quatre millions d’abonnés sur Instagram. Elle a posté les photos sur son compte.

Et les réseaux sociaux se sont déchainés. Cachée derrière leurs écrans, une meute tsunamesque sans tête s’est lâchée contre la jeune femme qui osait se montrer comme elle le souhaitait. « Too many burgers », « Félicitations pour le bébé », « Seb, il soulève ça ? », « Avec ses jambes, elle ne devrait pas mettre ce genre de tenues », et tant d’autres. C’est ce qu’on appelle en français un « Body shaming ». Une femme sur deux et un homme sur dix souffriraient de remarques désobligeantes et de moqueries à propos de leur corps ou de leur apparence. Pire encore, en jugeant le corps de l’autre, on le dépossède de son enveloppe charnelle. Aujourd’hui comme hier, ces violences psychologiques empêchent chacun-chacune de se libérer de ses complexes.

Pour générer du clic, une trentaine de médias amplifièrent la polémique quand Lena Mahfouf répondit sur Instagram pour rappeler que toute cette haine en ligne, dont elle commence à être coutumière, ne servait pas la cause de la liberté de chacune-chacun à se montrer à sa guise. Elle conclut son message par : « J’espère que le futur et le recul nous amènerons que du love. Moi, je vous envoie du love ».

En soutien, de nombreuses personnalités des médias, du showbiz et de la politique, suivies par leur communauté, se sont fendues d’un message sur les réseaux sociaux pour défendre l’influenceuse outragée.

Le bruit médiatique est sans appel, il y a match nul entre ceux qui dénoncent le harcèlement en ligne et ceux qui le pratiquent. Sans doute, la masse silencieuse a fait sienne la phrase de l’ancien entraineur du PSG Luis Fernandez : « Plus tu es visible, plus tu es visé » et est passée à autre chose.

Somme toute, cette séquence de communication dit en creux que depuis quinze ans, les réseaux sociaux sont la cause de l’hyper croissance du chiffre d’affaires des cliniques de chirurgie esthétique. Elle rappelle que, de temps en temps, par palier, des voix s’élèvent pour mettre en face de la vacuité, la dignité. La nouveauté est que c’est une jeune influenceuse française mondialement connue qui vient d’entrer dans la bataille de la liberté de l’intime condamnée par des écervelés. Vivienne Westwood aurait adoré.