Fr
En

Babel

CAHIER DE TENDANCE #132 | 7 AVRIL 2023

Babel. Derrière les maux, les mots. Dans des sociétés aussi fracturées que les nôtres, comment ne pas s’interroger sur les difficultés de plus en plus grandes à trouver un langage commun ? Ce que l’on nomme usuellement « un dialogue de sourds » ne s’explique pas seulement par la mauvaise foi ou la volonté d’établir dans l’échange un rapport de force mais aussi par l’incapacité à comprendre le champ lexical dans lequel l’autre se meut. La bataille autour de la réforme des retraites offre un parfait exemple de cette mutuelle incompréhension où chacun veut nourrir la confrontation en trouvant des aliments de langage. Prenons la langue présidentielle : elle est très souvent chantournée avec un penchant remarqué pour l’affèterie comme le montre, par exemple, l’emploi des termes palimpseste, carabistouille, thaumaturge ou chicayas (qui n’est pas une des tribus d’Amazonie, mais « une petite querelle »).

 

Le vocabulaire de Jean-Luc Mélenchon est tout aussi atypique puisque, comme l’a souligné Le Monde, il fait en permanence le grand écart entre un public « bac +5 » qui va comprendre les phénomènes de « l’ère anthropocène » ou la « créolisation gauloise » décrit dans ses livres ou sur son blog et un électorat plus populaire à qui l’on sort, à peine ripolinés, les grands discours des membres du Comité de salut public. Entre le président de la République et le gourou de secours des Insoumis, la mésentente ne peut être que totale.

 

Cela n’est pas une spécificité française. On retrouve ce choc des langages partout dans le monde : au Proche et au Moyen-Orient, aux États-Unis et… en Chine. Écoutons les maîtres de Pékin. Il est évident que, pour commencer, ils n’ont pas la même perception que leurs homologues étrangers des territoires que recouvrent le mot « Chine ». Mais les langues ne se contentent pas d’être différentes. Elles peuvent aussi dégénérer dans un sabir quelconque que nous retrouvons dans notre quotidien. Prenons l’expression, « on part sur… » dont l’auteur de ces lignes avoue n’avoir toujours pas trouvé la signification exacte. Quel rapport entre le restaurateur qui pour vendre son poisson va vous dire « pour l’accompagner, on part sur du Chablis » et le fournisseur qui pense vous accrocher en lançant : « on part sur un produit novateur en termes d’impacts » ?

 

Ayons conscience néanmoins que pour sauvegarder un bon niveau de résilience, il est préférable de ne pas vouloir endiguer ces évolutions du langage. Autant, en effet, chercher à arrêter une charge de véhicules blindés avec un éventail en plume d’autruches. N’étant pas suffisamment disruptif de nature et pas suffisamment assertif lorsqu’il s’agit de défendre mon opinion, au final, j’ai personnellement laissé tomber. Du coup, on va partir sur ça. Ça fait sens ! Et si j’ai un doute, je reviens vers vous…