Retour aux pyramides

CAHIER DE TENDANCE #133 | 14 AVRIL 2023

Pyramides. Certains ont entendu parler de la sortie du rappeur Gims sur l’électricité installée en haut de pyramides élevées par des Africains. Beaucoup de bruit pour rien ? La première des réactions a été d’accueillir d’un immense éclat de rire les vaticinations du rappeur. Et puis, on a commencé à y regarder de plus près et on s’est inquiété des millions de personnes qui le suivaient et des réactions positives parmi ses fans qui étaient prêts à discuter le vide du vide. Bref, on n’était pas loin de parler d’une génération sacrifiée, abandonnée et abonnée au complotisme et au révisionnisme historique.

En fait, ce type de discours est bien davantage qu’un aveu d’inculture, c’est un signe et, comme tel, il contient quelque chose de beaucoup plus inquiétant. Cette vision africaniste de l’Égypte et de l’Antiquité est une idée qui vient de loin et qui, au départ, s’est présentée sous une forme affable. On connaît cette phrase célèbre de Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra : « les idées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de colombes. » À partir des années 50, s’est tenu, notamment au Sénégal, un véritable affrontement idéologique entre Léopold Sédar Senghor et le Cheik Anta Diop. Ce dernier n’était pas simplement un homme politique, il était aussi l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages historiques et se voulait égyptologue. Fort de l’idée que l’histoire n’est écrite que par les vainqueurs, Anta Diop souhaitait réécrire celle du continent noir.

Cet intellectuel engagé affirmait la primauté civilisationnelle africaine, les Noirs étant, selon lui, la « race originelle » à l’origine de la genèse de la civilisation égyptienne. Dans la foulée, il considérait que l’Égypte africaine avait colonisé la Grèce pour en faire le berceau de la science et de la philosophie. Ses « travaux » ont été contredits par tous les égyptologues, tous les archéologues et tous les historiens. Malheureusement, ce qui a été pensé une fois éternellement demeure. Ces idées ont donc fait leur chemin aux États-Unis mais aussi en Europe et, plus particulièrement, en France où elles ont été relayées au début des années 2000 par un mouvement, la tribu Ka. Un groupe violent et antisémite, prônant le retour à l’Égypte et la ségrégation raciale, qui fut dissout avant de renaître sous diverses appellations.Son fondateur, Kémi Séba, élu personnalité politique de l’année 2017 par Africanews, trouvera refuge dans des pays africains et sera nommé ministre francophone de l’organisation New Black Panther Party.Son activisme provocateur et primaire trouva un premier débouché au Mali. À ce titre, il sera invité à Moscou par l’oligarque qui finance la société paramilitaire Wagner. Pour ceux qui souhaitent davantage de précisions sur ces dérives, on ne peut que conseiller le livre de Géraldine Faes et Steven Smith, Noir et Français ! La sortie de Gims n’est donc pas un coups de phobie mais la partie immergée d’un discours qui n’a cessé de se répandre depuis plusieurs décennies. Le fait que nous le remarquions, aujourd’hui, n’est pas une preuve de sa nouveauté. Après tout, l’Amérique existait avant Christophe Colomb.