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Sur le divan

CAHIER DE TENDANCE #136 | 5 MAI 2023

Gratuit Low Angle Photo Du Drapeau De La Turquie PhotosDivan. Dans les maisons turques, le mot désigne une vaste salle où l’on reçoit les visites de cérémonie. Le 14 mai prochain, 64 millions d’électeurs turcs sont appelés à se rendre aux urnes pour choisir – notamment – leur prochain président. À 69 ans, Recep Tayyib Erdogan va-t-il réussir à décrocher un troisième mandat consécutif à la tête de son pays ? Au pouvoir depuis vingt ans comme premier ministre puis comme président de la République, il affronte pour la première fois une opposition unie en la personne de Kemal Kiliçdaroglu. Ce dernier a su regrouper six partis qui vont de la gauche modérée à la droite nationaliste et a même réussi à recevoir le soutien d’un parti kurde !

 

Organisée en même temps que les législatives, cette élection est annoncée comme très serrée selon les sondages. Les deux camps affirment, d’ailleurs, être en mesure de pouvoir l’emporter…dès le premier tour. Qui l’emportera : le parti ultra-conservateur imbibé de religiosité, rempart d’une pratique autocratique du pouvoir ou le mouvement laïc qui promet un virage démocratique et le retour à la prospérité économique dans un pays où l’inflation a dépassé les 82% en 2022? Rappelons que, dans un premier temps, Erdogan a su faire réémerger son pays au niveau régional et n’a cessé d’affirmer son souci d’en faire un interlocuteur de poids au niveau international et de lui redonner un peu de sa gloire passée. Tout a commencé par une entreprise de charme. On a fini par oublier l’époque où il parcourait le monde musulman en VRP d’un fameux et fumeux « islamisme modéré » qui allait apporter une réponse aux défis contenus dans le printemps arabe. Bref, l’Occident s’accommodait fort bien d’un Erdogan à Ankara, tout comme il s’accommodait fort bien de la Russie de Poutine…

 

Mais la machine électorale bien rôdée s’est grippée après 2013 et les révoltes stambouliotes. Le masque est tombé et Erdogan est apparu pour ce qu’il était : un autocrate mégalomane et cynique accaparant l’histoire. Il commença à se mettre en scène au milieu de janissaires et à rêver tout haut d’une nation héritière à la fois de l’empire ottoman et du panturquisme dans un grand délire identitaire. Le charme laissa la place à la force puis à la violence. La guerre en Syrie a fini de dissiper les malentendus. Adieu l’Occident ! Erdogan s’est rapproché de Moscou pour s’attaquer en toute tranquillité aux Kurdes. La Turquie était (re)devenue une nation belliqueuse et expansionniste.

 

Qu’arrivera-t-il si Erdogan est battu le 14 mai prochain ? Les rapports avec Moscou ne changeront pas du jour au lendemain. Peut-être que l’économie repartira notamment grâce au tourisme, peut-être assistera-t-on à une accalmie dans le Haut-Karabakh, peut-être que la Turquie se présentera à nouveau à la porte de l’Europe. Mais le vrai changement sera sans nul doute symbolique : la chute d’Erdogan montrerait que les autocrates peuvent être solubles dans les urnes.