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De la bureaucratie céleste

CAHIER DE TENDANCE #141 | 9 JUIN 2023

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Bureaucratie. Toujours revenir à l’origine des mots. Le mot bureaucratie a été inventé pour désigner une organisation du travail à l’honneur sous Colbert puis en Prusse et qui fut inventée par les Chinois. Dans La Bureaucratie céleste du grand sinologue Etienne Balazs, livre aussi magistral que passionnant, le lecteur effectue une plongée dans l’économie et la société de la Chine ancienne. Cet essai nous dit tout sur le corps du mandarinat, cette classe des lettrés-fonctionnaires et propriétaires, classe dominante par sa fonction étatique. Il nous parle de la permanence de cette bureaucratie qui s’étend sans discontinuité du IIIe siècle à 1911.

 

On pourrait croire que l’avènement du maoïsme allait définitivement mettre à bas ce système de contrôle, étouffant, sclérosant, immobile. Or, on se servit surtout de cette tradition bimillénaire des fonctionnaires. La révolution tant attendue de Mao Tsé-toung si elle mit fin aux mandarins, à la bourgeoisie et aux propriétaires fonciers les remplaça par une classe de fonctionnaires de nouveau ton, la bureaucratie d’un capitalisme d’État, à qui elle accorda un pouvoir bien plus absolu. Cette échappée éditoriale a juste pour souci de souligner que la bureaucratie n’est pas une maladie française comme on le psalmodie trop souvent.

 

Ce qui est vrai, en revanche, c’est que de tous les pays occidentaux et démocrates qui ont adopté l’économie de marché, notre pays offre un exemple déroutant de la prospérité du bureaucrate. Après six ans de procédures administratives, le patron du groupe agroalimentaire Bridor (Brioche dorée, Pizza Del Arte…) a fini par jeter l’éponge et renoncer à installer une usine de viennoiseries qui auraient permis de créer 500 emplois près de Rennes. « Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre dix ans, voire certainement davantage que notre projet aboutisse lorsque nos concurrents à l’étranger mettent un à deux ans maximum pour obtenir les autorisations » a déclaré Louis Le Duff. Une décision qui a provoqué une secousse sismique dans le milieu économique local tant cet industriel breton est connu pour son attachement au territoire. Au passage, le moins que l’on puisse écrire est que ces délais fous ne correspondent guère à la volonté gouvernementale de réindustrialiser le pays. Il est probable que le groupe ira se renforcer au Portugal.

 

Mais ce qui est intéressant dans ce cas d’espèce, c’est que la lenteur administrative a été renforcée par les recours de micro-associations écologistes. D’ailleurs, côté politique, tous les élus ont déploré l’issue de ce dossier, à l’exception des écologistes qui estiment normal que les administrations soient de plus en plus exigeantes sur les indicateurs réclamés aux entreprises. Ces dernières sont tenues de récolter toujours plus de données sur l’impact environnemental de leurs activités. L’investissement en temps est monstrueux. En France, il ne s’est quasiment pas passé une année sans que de nouvelles directives apparaissent et le plus souvent dans un jargon qui paraît avoir été conçu par un lettré-fonctionnaire du IIIe siècle.