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De la carte d’identité à la carte identitaire

CAHIER DE TENDANCE #143 | 23 JUIN 2023

Un récent sondage d’OpinionWay souligne que l’appartenance identitaire qu’elle soit sociale ou ethnique ne cesse de progresser. La politologue associée à la Fondation Jean Jaurès, Chloé Morin résume la problématique en ces termes : « Liberté, égalité, fraternité, notre triptyque menacé par l’identitarisme ».

 

Verra-t-on bientôt une carte identitaire prendre la place de notre vieille carte d’identité ? Devra-t-on décliner nos origines sur quatre générations, notre ethnie, nos orientations sexuelles, notre religion, afin que nos contemporains nous rangent, dans une boîte, prélude à l’ultime rangement que nous connaîtrons tous ? Davantage que l’histoire politique, l’histoire des idées ne se répète pas, elle bégaie. Entre les deux guerres, nos doctes clercs mirent des années à commencer à comprendre que l’irruption totalitaire était un seul et même phénomène et qu’il était vain de chercher à trier entre totalitarisme, fréquentable ou infréquentable. Plus près de nous, les stratèges américains après des décennies d’erreurs ont semble-t-il, accepté, l’idée qu’il était illusoire de vouloir dissocier les différentes formes prises par l’islamisme politique. Combien de temps faudra-t-il pour prendre la mesure de la panique identitaire qui envahit les esprits ?

Sois et éternellement demeure. Surtout, garde le ticket que l’on t’a apposé et qui va t’accompagner durant l’existence. Telle est la prière qui s’élève aujourd’hui, des temples anciens et des modernes : des édifices religieux et des hypermarchés. Ces injonctions sont devenues de gigantesques foires, aux identités où il est désormais impossible de descendre du manège, à moins de sauter dans le vide.

 

Le sujet n’est pas ici de faire le procès de l’identité. Pour éviter un grave malentendu, une précision s’impose. Quoi de plus normal, de plus humain, de plus désespérément et heureusement humain, que de s’interroger sur soi ? Les Grecs voyaient dans ce questionnement à la source de la philosophie, le fondement de la métaphysique, l’aube de la conscience intérieure. « Connais-toi toi-même ! » . C’est, si on en croit Platon, le plus vieux précepte gravé au fronton du temple de Delphes. Il a en tout cas traversé les siècles, devenant le cours le plus intérieur de la pensée occidentale.

 

Que s’est-il donc passé pour que la question de l’identité se transforme en une colérique assignation à résidence ? Comment ses identités nationales qui étaient, dès le XIXe siècle, un formidable levier conduisant à la démocratie, à la libération et au Printemps des peuples, se sont-elles transformées en un outil provoquant l’abrutissement des masses et l’asservissement des individus ?
Entendons-nous : à chaque époque, des hommes et des femmes ont défendu l’idée que devait prévaloir une seule et même appartenance, une seule et même vision du monde. Mais il se trouvait toujours dans le même temps d’autres hommes et d’autres femmes qui affirmaient haut et fort qu’on ne pouvait être singulier qu’en étant pluriel. Pourquoi l’identité s’est-elle muée en une panique identitaire, cette religion politique totalitaire qui revêt un caractère exclusif alors qu’autrefois un homme libre n’engageait pas la totalité de son être ?