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L’énigme de la Vallée

Tech et Caetera #20 | 05 JUILLET 2023

Depuis un siècle, c’est le lieu de l’innovation et de tous les possibles. La Silicon Valley est une sorte de jardin d’Éden où phosphorent les cerveaux les plus brillants de la planète, d’où jaillissent des idées révolutionnaires sous une pluie de capitaux. Mais pour Olivier Alexandre, chercheur au CNRS, cette vision de la « vallée » est caricaturale et cache d’autres aspects méconnus. C’est pourquoi, depuis 2015 et jusqu’à l’année dernière, il a sillonné cette partie du nord de la Californie pour en analyser les mystères. Dans La Tech, Quand la Silicon Valley Refait le Monde, paru au Seuil, il évoque le revers de l’utopie des « gourous » de la Tech.

 

 

La réussite des GAFAM monopolise l’attention, mais quid des milliers de petites entreprises qui tentent de se faire une place au soleil (sur 15.000 actives dans la Silicon Valley en 2019, seul un tiers comptait plus de cinquante salariés) ? L’échec fait grandir, mais à quel prix quand 90 % d’entre elles disparaissent au bout de 5 ans ? « Le modèle général de la Silicon Valley est synonyme de réussite et de méritocratie, mais il s’accompagne d’un coût social qui est peu mis en lumière », affirme Olivier Alexandre, qui parle aussi d’un véritable « projet messianique », une idéologie libertarienne qui prétendrait pouvoir se passer de l’Etat : « la Tech veut développer des marchés, des services qui correspondent, dans le fond, à des fonctions régaliennes comme l’éducation, la santé, la monnaie, la communication, etc. » Dans la vallée, le seul modèle qui vaille est celui du business, affirme le chercheur : « L’entreprise est la cellule de base. L’entrepreneur incarne son entreprise, de la même façon qu’un politique peut incarner un parti et des électeurs ». Dans ce monde de doers, il faut aller vite, très vite. Olivier Alexandre rappelle certains codes incontournables dans la Silicon Valley : ponctualité, brieveté des réunions et des pitchs, tenues décontractées : « tout tend vers l’efficacité maximale de l’organisation du temps ». L’auteur décrit également les stratégies à l’œuvre en matière d’investissement, dominé par le venture capital, mais aussi celles des développeurs. Pour eux, un bon plan de carrière est opportuniste, il s’agit de miser sur le bon cheval, et pas forcément sur un grand groupe, pour maximiser ses revenus au fil des reventes.

 

 

L’auteur souligne que la Silicon Valley est « enclavée », mal desservie, polluée, et menacée par le changement climatique. Même les connexions internet y seraient moins performantes qu’en Europe, un comble. La Chine, sa seule rivale ou presque, vient certes marcher sur ses platebandes, mais la vallée fascine toujours. L’IA générative lui offre déjà sa nouvelle révolution sur un plateau. Et pourtant, Olivier Alexandre met en garde : « la Silicon Valley a généré des systèmes focalisés sur des problématiques prégnantes au 20ᵉ siècle, mais le seront-elles encore au 21ᵉ siècle qui aura probablement d’autres défis à affronter ? Gestion des ressources, enjeux démocratiques, gestion des frontières et de l’espace, etc. Il y a une relative cécité au sein de la Silicon Valley sur ces sujets ». Le monde de la Tech est prévenu, le jardin d’Eden peut devenir un enfer.

 

 

La Tech, Quand la Silicon Valley Refait le Monde (Editions du Seuil), par Olivier Alexandre, chercheur au CNRS

3 rue Jacques Bingen

75017 Paris

+33 1 53 70 74 70

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