Charivari

CAHIER DE TENDANCE #134 | 21 AVRIL 2023

Charivariser. Au Moyen Âge, les mariages mal assortis, les veufs remariés avec des jeunes filles, étaient accueillis par un rituel d’humiliation fait d’un concert tonitruant de casseroles. Des dizaines à des milliers de personnes jouaient de bruits disparates sous les fenêtres du domicile de la personne visée parfois toute la nuit. C’était orchestré et momentané. Cela se terminait toujours par une réconciliation finale. Comme une acceptation.

Bien avant ce qui s’est passé au Chili dans les années 70, l’un des premiers politiques à avoir été charivarisé fut Adolphe Thiers lors de la Monarchie de Juillet. A sa suite, les Français jouaient une casserolade sans nuance, pour avoir trahi les idéaux de la révolution, s’être rallié à l’ordre, et ne pas avoir porté assistance aux peuples en lutte. En écho à cette dénonciation bruyante naquit le journal gouailleur Le Charivari, un ancêtre du Canard Enchaîné. Les casseroles n’étaient pas seules, elles étaient soutenues par des crécelles, des sifflets, des poêles et des mots. Ces instruments populaires amplifiaient et consacraient la vox populi.

Succombons à la tentation de faire un parallèle entre Thiers et notre Président. Emmanuel Macron a publié un livre intitulé Révolution qui posait les fondements d’une nouvelle société… qui n’arrive pas, selon ses détracteurs. Son absence d’empathie immédiate lors du mouvement des gilets jaunes a détérioré son image moderne, toujours selon les mêmes. Des deux branches de son alternative « en même temps », celle de droite est majoritaire… et fait mentir tout son propos sur le fond. Et avec la dernière réforme passée démocratiquement en force, il a confirmé le décalage entre l’ambition et la réalité, la lettre et l’esprit selon Pierre Rosanvallon. Depuis son allocution de lundi, tous ses déplacements sont charivarisés. Pour sortir du tintamarre, il faudra du temps comme cela a été le cas pour ses prédécesseurs. Même le charivari positif des applaudissements à vingt heures pour les professionnels de santé pendant le confinement s’est essoufflé. Les gens finissent toujours par passer à autre chose… sauf si la médiatisation de leur opposition devient non plus un épiphénomène, mais une réalité structurée et grandissante faiseuse d’audiences.

Mercredi soir, Depardieu donnait un concert à Lille. Il a fallu la police pour permettre aux spectateurs d’entrer dans la salle de spectacle. Mediapart venait de révéler des mises en causes pour violences sexuelles par des femmes. Des manifestants criaient « on est là, on est là », comme lors des manifestations contre la réforme des retraites. Ce chant est détourné de sa destination initiale : Il a été créé par les supporters du RC Lens pour soutenir leur équipe de football.

Il ressort que le charivari est un outil moderne et modulable permettant en tout lieu et en tout point de dénoncer ce qui perturbe une partie de la population à un moment donné. Reste à connaître son efficacité… En attendant, les communicants des charivarisés semblent avoir choisi comme axe de défense la phrase de René Char : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront. » Ou pas.