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Existe-t-il un « statistiquement correct » ?

Le PIB progresse de 2,5 % en volume après 6,4 % l’année précédente ; 672 400 candidats reçus au baccalauréat 2023, ce qui est synonyme d’un taux de réussite de 90,9 % ; le nombre de victimes d’agressions physiques a bondi de 12 %, a indiqué le ministère de l’Intérieur dans son bilan provisoire…

 

On ne compte plus les domaines influencés par des chiffres. Le chômage, l’inflation, les écarts salariaux, la violence des enfants ou les changements climatiques : rien n’échappe à leur emprise puisque matin, midi et soir, la statistique chemine à nos côtés.

 

Rappelons-le : la statistique est la discipline qui étudie des phénomènes à travers la collecte de données, leur traitement, leur analyse et… l’interprétation des résultats. Or, c’est précisément ce dernier point qui se trouve contesté. Il y a cinq ans, le journal Le Monde nous alertait déjà dans un blog au titre taquin « J’ai du bon data ». Que disait l’article ? Il donnait de nombreux exemples qui prouvaient que la méthode mathématique n’exclut pas – loin de là – la manipulation des résultats et, par contrecoup, du débat public. Il citait, notamment, des études chiffrées publiées émanant de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui plaçaient, en 2000, la France à la première place en termes de qualité de soins. Dans une contre-étude intitulée « Gouverner par la comparaison : usages et mésusages des comparaisons internationales des systèmes de santé », le chercheur Sébastien Guigner montrait l’inanité du classement. Cela n’a pas empêché ce dernier d’être repris comme une vérité révélée. Voilà de quoi s’interroger sur la manière dont naissent les statistiques officielles. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est passée maître dans ce qui relève plus d’opérations de joueurs de bonneteau que de la démarche scientifique.

 

Le philosophe et essayiste, Sami Biasoni (*) vient de publier : Le statistiquement correct, sous-titré Critique de la déraison numérique. Feu sur le préjugé de supériorité analytique. Pour faire plus simple : le chiffre jouit d’une sorte de valeur de vérité supérieure. On répondra justement que, bien employée, la statistique est un outil central en démocratie, car elle contribue à l’action politique. Le problème est que, ces derniers temps, elle ne contribue pas, elle conditionne la prise de décisions et cela n’est pas sans conséquence sur les politiques suivies.

 

Si les spécialistes, les universitaires et les journalistes peuvent être induits en erreur par ces chiffres, on comprend bien que pour le citoyen moyen, il est encore plus difficile de démêler la complexité de ces informations. Dans ce livre provocateur – au sens étymologique du terme -, l’auteur passe en revue les principaux débats qui traversent nos sociétés. Nul doute qu’après sa lecture, on revisite ce que l’on présente trop souvent comme acquis. Il nous rappelle la phrase fameuse du grand Alfred Sauvy qui écrivait : « Les chiffres sont des êtres fragiles qui, à force d’être torturés, finissent par avouer tout ce qu’on veut leur faire dire ».

 

(*) Le Statistiquement correct de Sami Biasoni, Cerf.

 

27/10/2023