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Et si c’était lui ?

Régulièrement, la presse magazine nous assène en Une un portrait avec un titre affirmativo-interrogatif « Et si c’était lui ? » accompagné d’une phrase du type, sa vérité, ses convictions, sa profession de foi, son programme, son ambition. Selon le magazine, nous serons gratifiés d’un inventaire à la Prévert de ses goûts littéraires (du classique inattaquable, Proust, Stendhal, Hugo, etc.), sa passion pour la tête de veau ravigote, ses goûts musicaux (Beethoven, Mozart, Schubert plutôt que Wagner trop typé ou Penderecki ou Berg, plus obscurs aux yeux du profane). Cerise sur le gâteau, la photo de famille avec enfants et optionnellement petits-enfants dans un décor champêtre ou sorti directement d’un magazine de déco d’intérieur. Bref, le bonheur parfait, l’idéal.

 

On est en droit de s’interroger. Pourquoi cette passion permanente des foules pour l’Homme providentiel ? Comment expliquer ce besoin quasi-mystique ? Comment expliquer ce besoin de récits, de contes ? Alors qu’avec les années, l’enfant cesse de croire en la petite souris ou au Père Noël, l’adulte regrette-t-il son enfance en remplaçant les créatures imaginaires par celles qu’on lui enjoint de considérer comme capables de résoudre tous ses problèmes. Soit par l’hypnose, à coup de déclarations pleines de mots mais vides de sens, soit à coup de messages en lettres capitales sur un réseau social, soit à coup d’incantations cabalistiques, la tronçonneuse ayant remplacé la baguette magique.

 

Et pendant ce temps, un pays entier, l’Espagne, se retrouve dans l’obscurité. À l’arrêt complet, du fait d’une panne d’électricité géante. Et l’on s’interroge à nouveau. Les lecteurs de Barjavel n’auront pas été surpris et se seront posé la seule question qui vaille la peine en ce type de circonstance : au bout de combien d’heures, de jours, bascule-t-on dans la barbarie la plus totale quand l’énergie vitale alimentant les artefacts indispensables à notre mode de vie disparaît sans raison valable. La vie sans portable, sans télé, sans Internet, sans IA, sans Tesla… Retour à la terre, retour aux fondamentaux, basculement en mode survie. La batte de baseball remplace le Taser. Fin de la magie, retour aux temps obscurs de la Guerre du feu.

 

Ne parlait-on pas de la fée électricité au XXème siècle ? Toujours ce besoin de contes, d’expliquer l’inexplicable ou le complexe par quelque métaphore.
Mais soyons rassurés, omniscient et omnipotent, notre Homme providentiel, capable de couper le son et de remettre le son, de guérir les écrouelles, viendra dans sa gloire réduire la dette, abolir les impôts, prolonger les vacances, alléger le temps de travail, restaurer l’ordre, la foi, l’harmonie…, et ce en appuyant avec désinvolture sur le bouton magique pour que tout refonctionne.

 

Jusqu’à ce qu’une voix, lointaine mais ferme, glisse à notre oreille ces mots familiers :
« Allez, il est temps de se réveiller. »