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Les cygnes noirs

CAHIER DE TENDANCE #122 | 27 JANVIER 2023

Gratuit Conseil De La Bourse PhotosLes fées sont têtues. Se penchant sur le berceau de cette année nouvelle, elles avaient prophétisé la récession, la crise économique, la stagflation. Bref, tout ce qu’elles avaient déjà cru voir l’année précédente. Le problème est que les faits sont aussi têtus. Dernièrement, l’Opinion pouvait poser cette interrogation – en apparence – provocatrice : et si la récession n’existait pas ? Et si la crise n’était pas au rendez-vous ? Et si l’Europe n’allait pas être plongée dans le marasme économique ? Et d’enchaîner au risque de désespérer les Cassandre, en égrenant tout ce qui peut paraître paradoxal et inexplicable dans la situation présente comme le mystère des créations d’emplois sans croissance, l’immobilier qui fait de la résistance, le CAC 40 qui se porte comme un charme, une France qui semble échapper au black-out et… une bonne et heureuse surprise pour Bercy qui constate « que plus les impôts baissent, plus les recettes augmentent ».

 

Bref, si les Français sont dans la rue, les indicateurs économiques sont aux nues. Est-ce à dire que nous vivons dans le meilleur des mondes cher à Leibniz et brocardé par Voltaire ? Non. Ce n’est pas le pire qui est à prévoir, mais c’est l’inattendu, l’aléa, le surgissement de ces événements que les économistes, climatologues, virologues et prophètes ne parviennent pas à discerner dans les viscères de leurs analyses. Depuis les avertissements du Club de Rome qui vaticinait sur les limites de la croissance il y a plus d’un demi-siècle, on sait que l’avenir n’est écrit nulle part mais qu’il n’est pas, pour autant, dépourvu de drames, d’enjeux et de défis comme l’ont montré récemment à des degrés divers – la pandémie, la guerre en Ukraine, la crise énergétique ou la remontée des taux d’intérêts. Le problème est bien le caractère imprévisible de ce qui vient, qui souligne la fragilité de nos systèmes de pensée et qui nécessite moins du rationnel que de l’agilité et de la réactivité.

 

Il y a déjà plus de dix ans, paraissait aux États-Unis un essai qui allait vite devenir un best-seller, Le Cygne noir. Son auteur, statisticien et philosophe, Nassim Nicholas Taleb y développait la théorie de « la puissance de l’imprévisible », selon laquelle on appelle cygne noir un certain événement imprévisible qui a une faible probabilité de se dérouler (appelé « événement rare » en théorie des probabilités) et qui, s’il se réalise, a des conséquences d’une portée considérable et exceptionnelle.

 

Reconnaissons au minimum que ces derniers temps nous avons eu non pas un seul individu de cette espèce mais des couvées entières de cygnes noirs, signes que nous ne sommes pas encore parvenus dans les eaux du changement, mais que nous croisons encore dans celles des polycrises. Et dans ces périodes, le mieux à faire et de quitter les rives de l’extrapolation pour celles de l’anticipation.