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Comme une épine dans le cœur

Durant quelques décennies, l’île de Lampedusa fut liée au prince du même nom, baron de Montechiaro et de la Torretta, grand d’Espagne de première classe et, surtout, auteur d’un livre symphonique sur la nostalgie et le désenchantement : Le Guépard, publié à titre posthume qui inspira le chef d’œuvre de Visconti.

Aujourd’hui Lampedusa est devenu le synonyme d’une tragédie humaine.

 

C’est le point le plus au sud du territoire italien, et l’un des plus méridionaux de l’Europe (après Chypre et la Crète), plus proche de l’Afrique que de l’Italie. Lampedusa se situe sur le plateau continental africain face au ras Kaboudia, au sud de Mahdia, un des premiers ports de pêche de la Tunisie.

 

Ce confetti de Sicile de 6300 habitants a dû accueillir sur son sol, ce mercredi 13 septembre, près 7000 personnes majoritairement de jeunes hommes originaires d’Afrique subsaharienne, arrivés de la Tunisie voisine à bord d’embarcations de fortune affrétées par les passeurs.

Avec des milliers de personnes, épuisées et échouées sur ses côtes, des scènes de chaos et de désolation, des centres d’accueil débordés et incapables de faire face, le tout étant largement relayé par les réseaux sociaux, la situation de Lampedusa cristallise les crises de la gestion par les Etats européens des flux migratoires en Méditerranée mais aussi, plus largement, l’impuissance de l’Union européenne à faire face à cette question majeure qu’est l’immigration de masse. Car la route des Balkans met également l’Italie sous pression. Le nombre des migrants ayant passé la frontière entre Trieste et la Slovénie a été multiplié par cinq en un an.

 

Beaucoup d’Européens considèrent que Lampedusa est loin de leurs pays.

 

Or, il faut rappeler que depuis la création de ce que l’on nomme « l’espace Schengen », il n’y a plus de contrôles aux frontières intérieures. Les ressortissants des États de l’espace Schengen peuvent traverser la frontière qui sépare deux États sans être soumis à un contrôle.

 

Voilà pourquoi, l’Allemagne a annoncé, à la fin du mois dernier, la suspension du transfert des demandeurs d’asile en provenance d’Italie sur son territoire. En France, le sujet de l’immigration divise la classe politique jusqu’au sein même de la majorité présidentielle, pendant que l’instrumentalisation de la situation tourne à plein rendement électoral.

 

Comment contrer la récupération politique ? Pourquoi la coopération européenne a-t-elle tant de mal à s’organiser ? Quel est l’apport de l’immigration dans notre économie française, notamment pour les métiers dits « en tension » ? Toutes ces questions sont légitimes mais ne peuvent pas mettre de côté la vision du monde qui les porte.

 

C’était le 8 juillet 2013, il y a un peu plus de dix ans. Pour son premier déplacement hors de Rome, le Pape François s’était rendu dans la petite île. Un déplacement indélébile dans l’histoire de ce pontificat. Là, il avait commencé à pointer cette « mondialisation de l’indifférence » qui, au fil des ans, l’amènera à dénoncer à plusieurs reprises la culture du déchet. Plusieurs fois, il parlera de ce voyage : « ma pensée y est revenue continuellement comme une épine dans le cœur qui apporte de la souffrance ». Les projecteurs sont à nouveau braqués sur Lampedusa, cette frontière entre deux continents, lieu symbolique du XXIe siècle.