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Des herbivores dans un monde de carnivores ?

Les agriculteurs se disent les grands perdants du « Green Deal Européen ». Ils se sentent floués et ont comme l’impression que la France « mord la main qui l’a nourrie ».
Bannissement de pesticides, sortie précipitée du glyphosate, explosion des prix du GNR (Gazole non-routier), réduction des quotas d’irrigation : autant de normes qui placent les paysans français en compétition déloyale face aux autres nations, affirment les agriculteurs en colère.

 

Le comble selon eux : pendant qu’ils se plient à ces règles, nous importons des produits de pays, comme le Brésil, utilisant des pesticides interdits sur notre sol. L’Insee évoque une probable chute de 9 % des revenus des agriculteurs, et une baisse de la production atteignant jusqu’à 15 %. Une situation intenable aux yeux de ceux qui, autrefois, assuraient notre souveraineté alimentaire et qui peinent, aujourd’hui, à assurer notre sécurité alimentaire.

 

Pourtant, il y a plusieurs semaines que, dans une indifférence quasi-générale, les agriculteurs manifestaient déjà leur colère en retournant les panneaux des communes. Sans doute, les médias nationaux imaginaient-ils qu’il s’agissait de l’œuvre de quelques plaisantins. Cette colère des campagnes a été obligée de prendre de l’ampleur avant d’être vue puis entendue.
Les mouvements de contestation d’abord concentrés au sud-Ouest de Toulouse, où deux cents agriculteurs bloquaient l’A64, ont eu un effet boule de neige et la FNSEA, premier syndicat des agriculteurs, s’est activité à généraliser ses actions sur l’ensemble du territoire.

 

Surveillant le dossier comme le lait sur le feu, le gouvernement s’est attelé à trouver, d’abord, les mots justes. Pas question pour Gabriel Attal, qui affrontait là sa première crise sociale de se laisser développer un mouvement un peu trop vite qualifié de « gilets verts ». Il s’agissait là pour le nouveau Premier ministre d’un premier test décisif, car l’exécutif ne peut se permettre de voir s’ouvrir ce front à quelques mois seulement des élections européennes.

 

L’autre défi sera de montrer que le bien-être des agriculteurs n’est pas incompatible avec la défense de l’environnement. Nul besoin de convaincre l’opinion puisque selon un sondage de l’IFOP pour Ouest France, les Français sont 72 % à considérer que les agriculteurs ont un rôle majeur à jouer dans le développement d’énergies alternatives et le maintien de la biodiversité. Au bout d’une semaine de mobilisation, les agriculteurs ont déjà atteint un objectif : faire reculer l’agribashing dont ils s’estiment (et sont) victimes, et faire comprendre qu’ils subissent également les dégâts du réchauffement climatique.

 

Phénomène rare, souligné par Les Échos, l’ensemble des partis politiques les soutiennent. Mais le quotidien pointe aussi la vraie question qui n’est pas prête d’être résolue.
À savoir : « Est-il possible de concilier une agriculture durable et compétitive dans un monde de libre-échange ? Autrement dit, un modèle qui dit non davantage qu’ailleurs aux pesticides et aux grandes exploitations conduit-il forcément (comme aujourd’hui) à des importations massives de produits moins chers et écologiquement moins vertueux (cerises, pommes, sucre, etc.) ? ». Autrement dit encore : quelle place pour les herbivores dans un monde de carnivores ?

 

26/01/2024