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IA et emploi : de l’enjeu économique à l’enjeu social

Les effets de l’intelligence artificielle sur l’emploi sont une des préoccupations majeures des entreprises et des pouvoirs publics, compte tenu de la nouveauté introduite par les LLM (Large Langage Model) qui font référence à des modèles tels que le GPT-3 développé par “Open AI”.

 

Alors que les précédentes innovations digitales comme la robotisation ou l’ubérisation ont affecté les métiers peu ou pas qualifiés, l’IA sous la forme des LLM va toucher les travailleurs qualifiés, les tâches cognitives et les prestations intellectuelles. L’impact de l’IA sur l’emploi d’ores-et-déjà suscité de nombreux travaux d’économistes qui mettent en lumière différentes conséquences – directes comme indirectes – sur le volume et la qualité de l’emploi.

 

Les machines de l’esprit remplaceront le travail…

 

L’IA entraînerait au départ un effet de substitution du travail qualifié, la machine effectuant plus rapidement et de manière plus qualitative les tâches en question. A titre d’exemples, on peut déjà recenser :

 

-L’établissement de diagnostics médicaux par l’IA avec plus de précision que les médecins eux-mêmes.

-Les usages de l’IA dans les secteurs de la justice, l’agriculture et le marketing. Elle montre que l’IA améliore la prise de décisions et réduit les coûts. En matière pénale, l’IA permet d’évaluer les risques de récidive.

-L’analyse par France Stratégie de l’impact de l’IA dans les transports dans la mesure où elle va affecter le développement de la maintenance prédictive des équipements, la logistique et l’optimisation des flux ainsi que l’optimisation de la maintenance.

 

Toutes ces transformations auront un impact autant sur les tâches périphériques à faible valeur ajoutée que sur des tâches à forte valeur ajoutée qui composent le cœur de métier.

 

Cet effet substitution devrait donc impacter négativement le volume d’emploi. Selon Goldman Sachs, l’IA supprimerait 300 millions d’emplois dans le monde. De même, Daron Acemoğlu et Pascual Restrepo estiment que l’usage de l’IA entraînera une réduction du personnel et une diminution des salaires pour les personnels restants.

 

… mais des effets indirects positifs auront lieu à terme sur le volume et la qualité de l’emploi

 

Les gains de productivité engendrés par l’IA devraient baisser les prix et augmenter la demande, ce qui aura un effet positif sur le volume de l’emploi. Si les consultations d’ avocats deviennent plus rapides grâce à ChatGPT, leur prix va logiquement diminuer car davantage de personnes auront recours à des services d’avocat, ce qui favorisera l’emploi dans cette profession. Cet effet sera marqué dans le cas de l’IA, compte tenu de l’ampleur des gains de productivité attendus. Noy et Zang (MIT) ont testé l’impact de l’usage de ChatGPT sur la productivité des cols blancs. Ils concluent que le temps pour accomplir une tâche identique passe de 27 à 10 minutes pour ceux qui utilisent ChatGPT, sans baisse de la qualité.

 

De même, Erik Brynjolfsson, Danielle Li et Lindsey R. Raymond montrent que, dans le cas des centres d’appel, les salariés utilisant l’IA sont plus productifs que ceux n’en faisant pas usage. Les chercheurs ont constaté que l’outil permettait aux agents de résoudre 13,8 % de problèmes supplémentaires par heure. Le développement des machines de l’esprit devrait a contrario créer de  nouveaux emplois qualifiés. Selon le dernier rapport sur l’IA de l’Université de Stanford, plus de 296 000 postes ont été proposés en 2022 aux Etats-Unis dans la programmation en Python et 260000 en computer science.

 

70% des emplois seraient remplacés ou complétés par l‘IA.

 

Il faudra également, au sein des entreprises, créer de nouveaux emplois : entraineur d’IA générative pour des  applications spécifiques, vérificateur de résultats afin de mieux contrôler les biais et les hallucinations que peut susciter l’IA, etc. Goldman Sachs rappelle ainsi que 60% des travailleurs occupent aujourd’hui des emplois qui n’existaient pas en 1940. Ce qui implique que plus de 85% des créations d’emplois au cours des 80 dernières années s’expliquent par la création de nouveaux postes sous l’effet de la technologie.

 

L’IA est en définitive un outil complémentaire du travail qualifié et non son “remplacement”.

 

Si l’IA fait gagner du temps sur les tâches les plus élémentaires, elle libère du temps pour des tâches plus créatives. L’étude de France Stratégie montre dans le secteur bancaire que l’IA transformerait en profondeur le métier de conseiller bancaire: aide à la constitution de profils clients, temps libéré pour mieux répondre en ligne aux clients. En fonction des choix des entreprises, l’IA optimisera le service, poursuivra la dématérialisation du secteur, ou renforcera l’autonomie des conseillers.

 

Selon Goldman Sachs : 

 

-Seulement 7% des emplois américains seront totalement remplacés par l’IA

-63% seront complétés par l’IA

-30% ne seront pas concernés par l’IA (métiers manuels).

 

Les métiers des services de proximité seront à 100% complétés par l’IA, et ceux du secteur commercial et financier à 95%. Cette redéfinition des tâches s’accompagnera enfin d’un meilleur bien-être au travail. Ainsi, Noy et Zhang montrent que l’usage de ChatGPT génère un sentiment de satisfaction au travail chez ceux qui l’utilisent en leur permettant de se concentrer sur des tâches à  plus forte valeur ajoutée. ChatGPT permet aussi aux moins qualifiés de monter en compétences.

 

Il faut s’attendre à un processus de destruction créatrice sur le marché du travail. Ce processus va susciter des craintes chez les salariés, compte tenu de la nécessaire adaptation et redéfinition de leurs tâches au sein de l’entreprise comme de chaque profession. Dans ces conditions, la formation et l’accompagnement des salariés constitueront le facteur clé de l’acceptabilité sociale de l’IA générative. L’enjeu est de faire en sorte que l’IA soit utilisée dans les entreprises comme un vecteur de complémentarité avec le travail, de montée en compétences des individus, d’enrichissement des tâches, de stimulation de l’innovation et de la qualité.

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