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Le banc et l’arrière-banc

Il est temps de relire, aujourd’hui, la note que Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, avait publié pour le CEVIPOF : La France, une République désintégrée.

 

Entendons-nous : ce n’est pas la première fois de sa courte histoire que la République est menacée de désintégration. Cette remarque n’est pas faite pour minimiser la crise actuelle que nous traversons et qui nous fait parfois passer aux yeux de la presse étrangère comme « l’homme malade de l’Europe » mais parce qu’il est bon de savoir comment elle a su et pu surmonter ce défi dans le passé. Tout au long du XIXe siècle, l’existence de ma République a été contestée. Après tout, comme le soulignait Adolphe Thiers, n’est-ce pas le comte de Chambord qui, par son renoncement, a fondé la République ?

 

Durant les années 30, la République est pour une fraction des Français, « la Gueuse » et c’est un militaire perçu par les politiques de gauche comme républicain qui met (provisoirement) fin à ses jours : un certain Philippe Pétain.

 

Au fond, la France comme « archipel » a toujours existé, mais là où l’étude livrée par Luc Rouban est particulièrement intéressante c’est qu’elle souligne qu’aucune communauté qui la compose ne tire avantage de cet éclatement. En effet, dans son étude, ni les communautés, ni la République, ne suscitent un engouement. Près de la moitié des Français enquêtés (45 %) ne se sentent pas appartenir à la communauté nationale, ni à aucune autre communauté de langue, de religion, de valeurs… On savait que les années 1980-1990 ont été marquées par un désintérêt croissant des individus pour la chose publique, mais on croyait ou on voulait croire, à un renouvellement des formes d’engagement ces dernières années, caractérisées par un affranchissement de « l’arrangement en rang serré », des appartenances et des affiliations partisanes ou sociales ainsi que par une tendance à prendre la parole en son nom propre. Ce n’était peut-être qu’un moyen de se rassurer nous-mêmes, un leurre comme ces générations spontanées nées dans le cerveau de publicitaires avant d’être gratifiées d’une lettre de l’alphabet (X, Y, Z…etc.).

 

Ce n’est pas un hasard si l’on parle de plus en plus de phénomènes de bandes. La bande ne nécessite ni appartenance, ni engagement. Il suffit d’être là, sur un territoire qui peut aussi bien être un quartier qu’un hall d’immeuble ou le porche d’un café. On se demande parfois ce qu’attendent des jeunes ou des moins jeunes qui ne font rien d’autre que d’être regroupés dans un espace ou un lieu donné. Souvent, ils ne parlent pas, n’échangent pas, ne trafiquent pas, ne surveillent pas. Ils attendent. Quoi ? Un événement, un bruit, un regard de travers qui mettra en mouvement le banc comme dans une série sur les Zombies. À la différence d’autres structures sociales, comme la meute, le groupe, la horde, ou la société, il n’existe aucune hiérarchie dans un banc : le poisson qui nage en premier ne conduit pas les autres : il est tout simplement devant. Le banc se forme, se disperse puis se reforme un peu plus loin. Il n’y aucune sociabilité dans le banc ou l’arrière-banc. Ceux qui la composent ne communiquent que par ce langage avant le langage qu’est la violence et ne communient que dans le dégoût des autres.

 

Voilà à quoi vont être confrontés les vainqueurs des prochaines législatives et il n’est pas sûr qu’ils aient pris toute la mesure de ce défi.

 

14/06/24