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Liberté, j’écris ton nom… ou pas

Fin d’une chaîne. Écran noir. C’est beau le noir. C’est intense. Soulages l’a magnifié en allant au-delà du noir, avec son outrenoir. Fin d’une chaîne et rappel de la finitude des choses. Rien n’est jamais acquis, il faut relire Aragon. Fin d’une chaîne et sentiment de vide pour certains, qui perdent un compagnonnage vespéral, une horde glapissante, une tribu agitée, une mini-galaxie gravitant autour de son gourou. Prêtons attention aux propos de Charlotte dans Le Parisien : « Ça vide la tête quand on rentre du travail… je pense que ça enrichit le débat ». Se vider la tête pour enrichir le débat. Joie de l’oxymore. Et confirmation si besoin que la nature a horreur du vide. Que vont devenir les fanzouzes sans leur guide spirituel ? Sans leur ingénieur du chaos qui montre le chemin.

Partant du postulat qu’on ne peut plus rien dire, JD Vance a bien insisté sur ce point, la liberté d’expression est en danger. On ne peut plus rien dire. On peut même faire le tour des plateaux pour le dire. Et s’en indigner. Et se penser en Corée du Nord en termes de liberté d’expression ressentie. Vaste blague. Et si par ailleurs on ne peut plus le dire, il reste encore la possibilité de l’écrire. Vieille antienne. Figaro s’en émouvait déjà sous la plume brillante de Beaumarchais… en 1778 : « pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs »*.

Jeff Bezos s’en est fait l’émule avec un petit recadrage des thèmes autorisés des tribunes libres du Washington Post. Elon Musk a recadré par la même les community notes de X. Sus aux déviationnistes. Vieilles histoires et éternel recommencement. And now you do what they told ya. Il y a de quoi s’enrager contre la machine, non ? Les prosélytes de la liberté d’expression absolue savent parfaitement où fixer les limites de la liberté. On est revenu au bon vieux temps de la Campagne des Cent Fleurs du Grand Timonier. Action. Réaction. Expression. Répression. La Révolution n’est définitivement pas un dîner de gala, quelle qu’en soit l’obédience. Conservatrice ou progressiste. Quelle que soit l’époque, on recycle les vieilles formules. Une forme d’économie circulaire. Une forme d’écologie.

Alors quoi de neuf ? Molière, répondait Sacha Guitry. Velázquez, répondait Salvador Dali. Retour au beau, au sublime inatteignable. Qui traverse les siècles, inattaquable. Inusable. Et contre lequel le temps n’a pas de prise. Pour peu on se prendrait à croire que c’était mieux avant.

*Le Mariage de Figaro – Acte V, scène 3